CAF, l’Espagnol qui construit ses trams en France
Juin 2012 - N° 1225 - Actualités
Après avoir entièrement racheté l’ancienne usine Soulé en 2010, de l’autre côté des Pyrénées, l’Espagnol Construcciones y auxiliar de ferrocariles (CAF) a dû dégoter de nouveaux marchés pour la centaine d’ouvriers de l’usine de Bagnères-de-Bigorre. Avec son modèle de tramway moins cher que la moyenne, l’Urbos 3, il a séduit Nantes et Besançon. Mais il va falloir regarnir le carnet de commandes au-delà de 2014.
Ne lui dites surtout pas que son tramway est du low-cost, sinon il voit rouge. Francis Nakache, directeur général de CAF France, filiale du constructeur ferroviaire espagnol du sud de Saint-Sébastien, préfère l’expression «tramway optimisé», pour reprendre celle de Jean-Louis Fousseret, l’élu du Grand Besançon qui a choisi un tram à 15,7 millions du kilomètre - au lieu de 22 en moyenne - pour équiper sa ville en 2015.
Une réponse aux contraintes budgétaires qui pèsent sur les collectivités locales et sur la difficulté des villes de taille moyenne à se payer un tramway design et rutilant.
«Optimisé», ça veut dire quoi au juste ? Un tramway court (24 mètres de long pour 132 passagers au lieu du classique 32 mètres minimum), mais de capacité modulable, portes doubles ou simples, au choix, sans aménagements urbains, paysagers et ouvrages d’art coûteux, un nombre limité de sous-stations électriques, la réutilisation des systèmes d’aide d’information du réseau d’autobus. «C’est l’efficacité du transport qui compte et c’est l’exploitant qui fait ses choix, en fonction de certains compromis», observe Francis Nakache. «Pour réduire les coûts, nous avons choisi du matériel et des équipements de série, nous n’avons pas fait redessiner les sièges, pas fait construire un nouveau nez, ni confié à un grand designer la réalisation des stations», expliquait le maire de Besançon au magazine Transport Public fin 2011. Au final, une facture de 228 millions d’euros pour 14,5 kilomètres de ligne, soit une économie de 54 millions d’euros, assure l’élu. Le moins cher de France.
Anciennes usines Soulé
Les 19 rames de Besançon et les 12 destinées à Nantes qui sont en cours de construction dans l’ancienne usine Soulé de Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) sont d’une sobriété à toute épreuve. La première a été livrée mi-avril 2012 dans la ville de Jean-Marc Ayrault, et c’est l’antithèse du tramway «haute-couture» de Montpellier. «Pas low-cost pour autant, notre tramway est confortable, fiable et a de l’allure», note Francis Nakache. Les deux premières commandes de Nantes et Besançon vont permettre d’occuper les 110 ouvriers de l’usine de Bagnères-de-Bigorre (elle en comptait plus de 2000 du temps du constructeur ferroviaire Soulé qui avait diversifié ses activités avant de sombrer dans les années 90 et d’être racheté par la Compagnie des chemins de fer départementaux (CFD). «Nous avons un carnet de commandes pour trois ans», assure Laurent Caseau, directeur commercial de CFD-CAF. Outre son modèle de tramway Urbos (qui équipe Edimbourg, Stockholm, Cincinatti, Antalya, par exemple), l’Espagnol a en catalogue des métros (Alger, Rome, Mexico, Bruxelles, Medellin, etc.), des trains suburbains, régionaux, intercités et des trains à grande et très grande vitesse. Fabriqués dans les différentes usines du constructeur en Espagne, au Brésil, au Mexique, aux Etats-Unis et en France.
«Nous allons nous positionner sur le marché de renouvellement des Trains d’équilibre du territoire (TET), même si c’est encore très difficile de pénétrer le marché français, commente Laurent Cazeau. Pour les TER, c’est encore plus compliqué, les contrats cadres ont été passés pour dix ans avec Alstom et Bombardier».
Rapport parlementaire
Un rapport parlementaire de juin 2011 sur l’industrie ferroviaire pointait du doigt le constructeur espagnol qui arrive à vendre ses trams en France, «or, nous sommes devenus français, implantés dans les Hautes-Pyrénées, insiste Francis Nakache.
«Et contrairement à ce qu’avance Yannick Paternotte, le rapporteur, la production des trams de Nantes et Besançon n’est pas très largement localisée en Espagne. A Bagnères, nous fabriquons même les caisses pour le tram-train de Cadiz, en Espagne», renchérit son directeur commercial. D’après de nombreuses personnalités rencontrées par la commission d’enquête, «il reste illusoire pour des industriels français de penser pouvoir remporter des appels d’offres de collectivités publiques en Espagne !», lit-on dans le même rapport. «Pourtant, si les trams et métros de CAF équipent 50% des réseaux urbains espagnols avec 27,4% des rames vendues, le matériel Alstom équipe 37,5% des réseaux avec plus de 50% des rames vendues», compare Francis Nakache, visiblement agacé par cet accès de protectionnisme des parlementaires «mal renseignés». «Nous n’avons pas été auditionnés par la commission d’enquête», regrette-t-il. Certaines idées reçues ont la vie dure mais le groupe CAF, qui réalise un chiffre d’affaires de 1,7 milliard d’euros, ne désespère pas de sortir de son rôle d’outsider en France. Le recul du marché espagnol, très affecté par la crise (-30% en 2011), pousse d’autant plus le constructeur ibérique à avancer ses pions de l’autre côté des Pyrénées, car l’activité de l’usine des Hautes-Pyrénées est conditionnée par le marché français. Quelles en sont les perspectives ? «Il y a le tram d’Avignon, de Nîmes, le marché de renouvellement du tram de Caen, de Strasbourg et les projets inscrits dans le deuxième appel à projets TCSP du Grenelle de l’environnement», égrène Laurent Caseau. «Même l’usine de Bagnères n’a pas vocation à construire que du matériel urbain». Nous sommes dimensionnés pour faire des petits projets (110 salariés dont 80 ouvriers sur le site de Bagnères). La rénovation de l’usine de Bagnères qui date de la fin du 19ème siècle se fait au fur et à mesure des commandes. Celles de Nantes puis Besançon ont valu 3,5 millions d’investissement pour doter l’usine d’un nouvel atelier d’essais fixe inauguré mi-mars 2012.